1924 à 2003 : Industrialisation, désindustrialisation et prémisse de revitalisation

1924 à 2011 : Industrialisation, désindustrialisation et revitalisation​

La plus grande usine de viscose de France et ses cités ouvrières : 1924-1980

Vaulx-la-Côte, un emplacement idéal pour l'installation d'une usine chimique

Montrer Vaulx la Côte, l'usine TASE et ses cités ouvrières.
Plan général de l'usine TASE et de ses cités à Vaulx-en-Velin sud. 1926. Auteur inconnu. Collection Vive la TASE !
De l’eau en abondance et en grande quantité

Dans l’histoire de l’industrie du textile et de la teinturerie, l’eau a toujours été recherchée car essentielle au processus de production. Les entreprises ont donc toujours cherché à s’installer à proximité de fleuves, rivières et nappes phréatiques importantes. A Vaulx-en-Velin, par exemple, le site de l’ensemble industriel TASE, d’une grandeur de 75 hectares, fut choisi en partie car de l’eau était présente en faible profondeur et donc facile à extraire et à utiliser. 

L’eau joue un rôle primordial dans le processus de production de soie artificielle. En effet, pour produire un kilogramme de Rayonne (type de fil artificiel), il faut, en moyenne, 370 litres d’eau. De même que pour produire un kilogramme de Fibranne, un autre type de fil synthétique, il faut 330 litres d’eau. Avant d’utiliser cette eau dans le processus de production, cette dernière devait être adoucie. L’eau brute de Vaulx-en-Velin possède une forte teneur en calcaire, il est donc nécessaire de la rendre “douce” grâce à l’élimination des sels calcaires.

L’eau du château d’eau alimentait cinq puits qui fournissaient ensuite l’usine grâce à une station de pompage située au sein de cette dernière. Elle passe par la Centrale Thermique afin de produire de la vapeur pour les fabrications et le chauffage ainsi que de l’électricité par l’intermédiaire de turbines. Elle fut également utilisée à la Fabrication, lieu où l’on pratiquait le lavage des tissus de filtration et le mixage. L’eau passait aussi par la Filature pour le lavage des enroulements de Rayonne et le nettoyage des métiers.

L’eau jouait un dernier rôle dans le Finissage, qui consiste en la désulfuration, le rinçage et l’ensimage. L’eau polluée était ensuite évacuée dans un bassin de décantation situé entre le chemin de la Poudrette et la ligne des chemins de fer de l’Est. L’eau affluait de tous les points de l’usine formant un véritable ruisseau se jetant directement dans le bassin de décantation. Le rôle de ce dernier était d’améliorer la qualité des eaux usées. Une fois partiellement dépolluée, l’eau était évacuée aux alentours de l’usine, dégradant les sols et les égouts de la ville malgré le traitement qu’elle subissait préalablement. 

Des aménagements prééxistants

Le chemin de fer de l’est lyonnais | C’est en 1881 que la Société anonyme du Chemin de fer de l’est de Lyon (CFEL) ouvre une ligne de Lyon (gare de l’Est) à Saint-Genix-d’Aoste le 23 octobre 1881 d’une longueur de 72 km et comportant 21 gares. Lorsque que la direction décide d’implanter l’usine à Vaulx-en-Velin en 1922, la ligne existe déjà depuis une quarantaine d’années. C’est une aubaine pour l’usine et l’acheminement rapide des matières premières ainsi que pour les expéditions. 

L’usine hydroélectrique de Cusset | En 1889, un riche groupe de fabricants de soie lyonnais décide d’appuyer le projet de Jean-François Raclet, ingénieur lyonnais, qui imagine une dérivation du Rhône à Jonage dans le dessein de créer un barrage hydroélectrique. Il s’agit de produire de l’électricité à grande échelle, pour compléter celle fournie par la Compagnie du Gaz à partir de petites centrales implantées en ville. La compagnie du Gaz, alors principale fournisseuse d’énergie au XIXème siècle, détient le monopole de la distribution d’électricité et de gaz et fixe des prix trop élevés pour que les entreprises puissent s’aligner.

La construction d’un canal de dérivation du Rhône, le canal de Jonage et de l’usine hydraulique commence en 1894. L’immense chantier est équivalent à celui du tunnel sous la Manche au XXème siècle. L’aménagement a un triple objectif : produire de l’électricité, améliorer la navigation et fournir de l’eau. Le chantier s’achève en 1899, la centrale commence alors à produire de l’électricité grâce à ses quinze turbines. D’une puissance de 7 000 KW, l’usine, au début du XXème siècle, est la plus puissante de France et l’une des plus puissantes du monde. Le premier quartier desservi par la Société Lyonnaise de Forces Motrices du Rhône fut le quartier de la Croix Rousse et permit aux derniers canuts d’acquérir des moteurs électriques.

Au-delà des nombreux ateliers ainsi équipés, l’électricité hydraulique abondante et bon marché permet le développement des secteurs les plus dynamiques et novateurs de la grande industrie lyonnaise et notamment du secteur textile. Grâce à la puissance hydroélectrique de Cusset, l’usine TASE pouvait alors espérer s’approvisionner en force électrique à proximité. 

Un terrain attractif et propice à l'expension

Le prix du terrain a aussi sans nul doute attiré les Gillet dans le choix du site. Réputé d’une qualité médiocre pour l’agriculture, il se trouve sur des moraines glacières de l’ancien lit du Rhône. Une moraine est un amas de débris rocheux érodé et transporté par un glacier ou par une nappe de glace. En 1922, le terrain de 75 hectares est presque totalement en friche et son coût est bas. 

Au delà de sa valeur marchande, l’espace est aussi choisi pour son ampleur : les Gillet ont besoin de place pour créer la plus grande usine de viscose de France et construire de nombreux logements ouvriers. De la place, il y en a en abondance à Vaulx-en-Velin au début du XXe siècle. La commune est un petit village maraicher et sa population, forte de 1 588 âmes en 1921, se concentre principalement au nord de Vaulx-en-Velin. Les terres du sud sont quasiment exclusivement réservées à la culture agricole. 

Le caractère rural du secteur n’est pas non plus anodin dans le choix de l’installation de l’usine. Au début du XXe siècle, on observe progressivement un déplacement des grandes usines polluantes en dehors des villes. Hygiéniste et désurbaniste voient en ses usines la cause de nombreuses maladies dû à la pollution de l’air. On cherche alors des espaces éloignés des centres urbains, en campagne, afin de ne plus vicier l’air des habitants de la ville.  

Montrer le caractère rural de Vaulx-en-Velin.
Vue générale en campagne. Vaulx-en-Velin au début du XXe siècle. Bibliothèque municipale de Lyon.

L’usine est construite sous la direction des architectes de la société Desseux et de son adjoint Alexandre. Ces derniers prirent leur inspiration sur Tony Garnier et ses travaux réalisés sur les bâtiments à vocation industriels. Cette façade monumentale avait pour but de montrer toute la puissance de l’industrie Gillet à cette époque, à la fois pour les clients, la concurrence mais aussi pour ceux qui y travaillaient. Une chose frappe en ce qui concerne le choix du placement de l’entrée principale à l’extrémité de l’usine.

Lorsque l’on réalise un bâtiment pourvu d’une telle architecture, d’une telle monumentalité, on cherche à respecter une certaine symétrie. Pourquoi les architectes ont-ils décidé de placer l’entrée sur une des extrémités ?  Les Gillet avaient pour objectif de doubler la superficie de l’usine. Ainsi, cette entrée se serait retrouvée au centre de la façade et une parfaite symétrie aurait été respectée avec la Petite Cité ouvrière. Cette usine n’a jamais pu doubler à cause de la crise économique de 1929 et le fameux « jeudi noir » de Wall Street.

La France, en 1929, avait encore une économie largement basée sur l’agriculture comparée à d’autres pays aux dynamiques économiques liées à leurs industries comme les Etats-Unis et l’Angleterre. La France fut donc moins touchée en 1929 et il faut attendre la fin de l’année 1930 et le début de 1931 pour voir la crise frapper de plein fouet l’économie française. L’usine TASE n’échappe pas aux répercussions et commence, dès 1931, à réduire ses effectifs. De 3000 employés en 1929, l’usine passe à 2500 en 1931. Dans ce contexte, les plans de doublement de l’usine sont définitivement abandonnés. 

Montrer le projet de doublement de l'usine TASE
Projet de doublement de l'usine TASE et de la Grande Cité ouvrière. Sur une hypothèse de Vive la TASE ! Collection Vive la TASE !

Cité ouvrière de la TASE : "Petite" et "Grande" Cité

Cité ouvrière comme symbole du paternalisme industriel

Les termes de « cités ouvrières » désignent généralement des ensembles de logements groupés, pavillonnaires ou collectifs, bâtis par une même entreprise pour y loger tout ou une partie de son personnel. L’essentiel de cette production d’habitat remonte à la fin du XIXe siècle et surtout au début du XXe siècle, lorsque le processus d’industrialisation s’affermit dans les pays occidentaux. Le patronat des secteurs industriels traditionnels, confrontés à « la dérobade », arme ouvrière pour mettre en concurrence les employeurs, ont élaboré à tâtons une stratégie pour fixer la main-d’œuvre à proximité de leurs lieux de production.

Ils ont ainsi adopté un même modèle urbain qui emprunte aux courants de pensée de l’hygiénisme et du paternalisme, plus tardivement à l’architecture des cités-jardins, mais aussi à une généalogie ancrée dans les expérimentations coloniales et esclavagistes. L’expression « cités ouvrières » a rapidement désigné cette unique forme de réponse patronale au logement ouvrier, qui s’ordonne souvent en maisons isolées avec jardins. Ce type de production s’est progressivement tari dans la seconde moitié du XXe siècle, avec la prise massive de relais de la construction et de la gestion de logements sociaux par l’État. Toutefois, nombre de ces anciennes cités d’usine marquent encore ponctuellement le paysage des agglomérations et des régions industrialisées, même lorsqu’une urbanisation plus récente les a rejointes.

Les conditions de vie des ouvriers sont très difficiles, notamment au XIXe siècle où le temps de travail est élevé, les tâches souvent dangereuses, les logements insalubres dans lesquelles se généralisent la diffusion de maladies graves telle que la tuberculose. Ces hommes et femmes étaient d’ordinaires mobiles et pouvaient rapidement changer d’employeur dans le but de trouver un meilleur salaire ou de meilleures conditions de travail. L’industrie, déjà en manque de main d’œuvre, subit en plus un turnover permanent néfaste à la production. Le patronat du secteur de l’industrie entre en concurrence pour attirer de la main d’œuvre et tente de la fixer durablement dans l’entreprise.

Le but premier d’une cité ouvrière est d’en finir avec le caractère volatile des travailleurs et de les inciter à s’installer durablement dans l’entreprise en les liant avec un contrat comprenant un travail, un logement salubre, des soins et aussi, pour certaines cités, des loisirs. Le patronat parle plus aisément d’une « mission sociale » envers les personnes sur lesquelles il exerce son autorité. Cette volonté ne semble pas désintéressée. On parle d’un “paternalisme industriel” ayant pour objectif de contrôler la vie de l’ouvrier de sa naissance jusqu’à sa mort. Le développement des cités ouvrières en signe l’apogée et permet d’en faire de véritable projet socio-économiques Les écoles, notamment, en sont un bon exemple.

Les élèves reçoivent une instruction classique mais ils sont ensuite classés et sélectionnés afin d’être dirigés vers un enseignement professionnel qui permettra leur intégration dans l’usine. La façon dont sont sélectionnés les élèves répond aux besoins des postes à pourvoir au sein de l’usine. Les jeunes filles sont quant à elles regroupées dans des écoles de ménagères où elles apprennent à devenir de bonne mère au foyer. Un autre objectif est celui d’apaiser les tensions sociales et faire accepter par ces classes populaires l’autorité du patron. Le paternalisme industriel aboutit à une relative amélioration des conditions de vies des ouvriers, il n’en demeure pas moins que le travail demandé est difficile voire dangereux et que le temps de travail reste très élevé. Cette mainmise continuelle sur la vie des ouvriers est également difficile à supporter pour ces derniers.

Le paternalisme industriel et ses cités ouvrières n’empêchent pas les tensions sociales de s’exacerber. A la TASE, par exemple, dès de 1935, des grèves sont organisées pour réclamer de meilleures conditions de travail et une hausse des salaires. 

Les spécificités de la "Petite" Cité TASE

À la différence de beaucoup de cités ouvrières, la Petite Cité de la TASE présente une grande variété de maisons disposées dans des allées sinueuses et est une enclave presque rurale au beau milieu de la ville. La Petite Cité fut construite dès 1924. 97 pavillons ou maisons d’habitations hygiéniques furent érigés sur 11 hectares comprenant 297 logements. Dans la phase de pénurie de la main-d’œuvre et de crise aiguë du logement d’après-guerre, il s’agissait de sédentariser les employés en les liant par un contrat de travail et de location.

Pour compenser la faible attractivité des emplois proposés et l’isolement du site, l’usine propose des loyers très avantageux, des services de base pour la plupart gratuits, des équipements de loisirs et des commerces alimentaires. Les ouvriers, d’ordinaires mobiles, se stabilisent et l’usine réduit l’absentéisme, le retard et la désaffection. La Petite cité se situe au sud de l’usine TASE sous le vent des trois grandes cheminées qui dominent le site industriel. La production de viscose provoque des rejets d’air chargés d’acide et les habitants du quartier tentent d’étendre leur linge le dimanche, jour de ralentissement de la production, afin d’éviter que ce dernier ne soit trop pollué ou même troué.

À ses débuts, cette Petite Cité accueille les premiers employés, toutes origines confondues. Les maisons étaient séparées en deux ou quatre appartements et occupées par le tout-venant, à savoir, des familles ouvrières espagnoles, italiennes ou encore hongroises. Avec la construction de la Grande Cité et ses 500 logements, elle sera ensuite réservée aux contremaîtres, aux ouvriers qualifiés et aux membres du service d’entretien qui doivent être à tous moments disponibles pour une intervention d’urgence à l’usine. Trois grandes villas et quelques maisons plus spacieuses sont construites à l’ouest de la cité. Tous ces pavillons disposent pour chaque logement d’un cabanon, un jardinet, un poulailler et deux arbres fruitiers plantés par l’usine, un pêcher et un cerisier.

Les habitants vivaient en véritable autarcie dans ce que l’on pourrait nommer, une “colonie de travail”, basée sur un système rappelant l’époque coloniale. Église, bar, cinéma, casino, laiterie, boucherie et infirmerie étaient à la disposition des habitants de la Petite Cité. Tout ce dont les ouvriers avaient besoin se trouvait à proximité, ils ne se déplaçaient donc que très rarement en ville. Il s’agissait véritablement d’une « colonie de travail industrielle » où la qualité de vie élevée contrastait avec les conditions de vie ouvrière de l’époque.

Au sein de cette Petite Cité, trois lavoirs étaient à disposition et constituaient de véritables lieux de sociabilités. Ils furent détruits après la guerre pour faire place à des garages, le dernier, sur la placette devant la Boule en soie, a disparu en 1960. 

La Boule en Soie : symbole de l’avènement des loisirs dans l’Ensemble industriel remarquable | La Boule en Soie est à l’origine l’infirmerie de l’usine. Le bâtiment, trop petit et pas assez fonctionnel pour accueillir un espace de soin, changea de rôle et fut ensuite très rapidement le siège du club de boule lyonnaise.

Ce fut sans conteste un des lieux les plus fréquentés par les employés de l’usine. Cette société a été fondée sous ce vocable en 1926 par les fanatiques du sport bouliste faisant partie du personnel de l’usine TASE. Dès la première année, ses dirigeants lui donnèrent des statuts et en firent une société déclarée et affiliée à la Fédération Nationale Bouliste. Elle trouva aussitôt un appui précieux de la direction.

Cette institution est passée à travers vents et marées sans faiblir et en améliorant sans cesse ses qualités sportives, ses conditions d’existence et en accroissant sa vitalité. Plusieurs présidents d’honneur se succèdent dont un certain Monsieur De la Chapelle, directeur de l’usine TASE. C’est grâce à ce dernier qu’un boulodrome fut aménagé ainsi qu’une salle de réunion pouvant faire office de cantine-bar. Grâce à cet aménagement, les boulistes pouvaient se retrouver à leur cantine où, l’hiver, lorsque le temps était trop inclément pour pratiquer leur sport favori, avaient la possibilité de se venger sur une partie de belotte.

Depuis la fermeture de l’usine, le club est devenu un café-restaurant à l’esprit familial où population locale ancrée dans le secteur depuis de nombreuses années se mélange avec une nouvelle population issue des quartiers neufs. Toujours célèbre aux petites cités, La Boule en Soie garde le souvenir des nombreux boulistes passés par ce lieu. La société sportive est toujours présente avec une soixantaine d’adhérents qui, eux, n’ont pas connu l’usine. 

Ancienne chapelle Saint Joseph de la Poudrette : le catholicisme ancré dans la vie des ouvriersLa chapelle Saint-Joseph de la Poudrette accueille les fidèles jusque dans les années 1960. Elle fut un des premiers équipements construits par l’usine. Entièrement faite de bois, la chapelle possédait une cloche offerte par Monsieur Edmond Gillet en personne. Cette dernière sonnait différents évènements : les offices, les naissances, les mariages, les décès et les fêtes diverses avec procession dans la cité comme, par exemple, la fête Dieu.

La chapelle constituait le lieu de rassemblement du dimanche matin. Lors des messes du dimanche, les patrons étaient toujours situés au premier rang. Les ouvriers se trouvaient ensuite derrière les patrons. La hiérarchie sociale de l’usine se répétait jusque dans cette église. 

Le curé qui officiait était choisi, payé, nourri et logé par l’usine. Un curé nommé Maxime Teyssier fut le premier à refuser les logements de l’usine. Il décida de s’installer dans les locaux de la nouvelle église qui venait d’être construite à la place de l’ancienne. Il fut le premier curé de la TASE à dissocier l’usine du domaine religieux. Elle fut démontée en 1967 et remplacée par l’église actuelle du même nom située avenue Roger Salengro. 

L’ancien hôtel Jeanne d’Arc (rue Alfred de Musset, Villeurbanne) | L’hôtel Jeanne D’Arc est reconnaissable à son architecture imposante et à son allure aujourd’hui quelque peu vieillissante. À l’initiative de la société de la “Soie artificielle du Sud-Est”, la “maison Jeanne D’arc” ou “l’hôtel Jeanne D’arc” est construit à la fin des années 1920. Elle était placée sous la surveillance des Sœurs du Saint-Sauveur de Niederbronn en provenance d’Alsace.

Cet hôtel propose 300 chambres et des locaux collectifs (bibliothèque, salle de couture, chapelle…) destinés à des jeunes filles françaises ou étrangères, à partir de 13 ans, travaillant à la TASE et dont le domicile familial était trop éloigné pour qu’elles puissent s’y rendre. 300 filles se partageaient les locaux sur trois étages. Des françaises, italiennes, espagnoles, hongroises et autrichiennes vivaient alors sous le même toit, sous le regard bienveillant des religieuses.

Le but de ce foyer était de donner à ces jeunes filles une certaine idée de la “vie de famille” avec toutes les garanties morales qui en découlent, et cela dans un environnement matériel confortable. Chaque pensionnaire possédait sa chambre individuelle meublée, chauffée et équipée en toilettes et eau courante. Des salles de bains étaient à la disposition des jeunes filles deux fois par semaine. Une infirmerie et une salle de repos se trouvait également au sein de la maison, à l’entière disposition des pensionnaires.

En fonction de leurs aptitudes, les jeunes filles étaient initiées au finissage de la soie (dévidage, moulinage, flottage). Les sorties étaient interdites, sauf pour celles relativement proches de leur famille. Le temps libre était consacré à des cours ménagers comme la cuisine, la couture ou encore le repassage. Elles avaient également le droit à des distractions comme la lecture, des jeux divers en intérieur ou des promenades. Ces dernières apprennent également à lire et à écrire grâce à des cours prodigués par les bonnes sœurs. La paye des jeunes filles passait par les sœurs qui prélevaient la pension et constituaient pour chaque pensionnaire une réserve qu’elles touchaient à leur départ. Au bout d’une année de présence accompagnée d’une discipline irréprochable, les filles se voyaient accorder un congé de quelques jours.

L’Hôtel ferme en 1933, devient une caserne puis un hôpital militaire en 1939 et, en 1940, l’Ecole Polytechnique se repliant vers l’arrière à cause de l’occupation de Paris par l’Allemagne Nazie. En 1945, le bâtiment est vendu à l’Etat pour créer l’École Normale Nationale d’Apprentissage de Lyon. En 1950, la société TASE vend l’hôtel Jeanne D’Arc pour 60 millions d’anciens francs. En 1956, un centre d’apprentissage d’applications ouvre ses portes dans les locaux de l’ENNA. En 1991, l’ENNA devient l’IUFM (institut de formation des maîtres). En 2013, l’IUFM ferme ses portes. Depuis 2016, une partie des locaux de l’ancien IUFM sert de lieu d’hébergement de migrants, une sorte de retour aux sources pour ce bâtiment voué à l’origine à accueillir des travailleurs étrangers. 

Ancien cantonnement IndochinoisÀ l’angle des rues de la Poudrette et Alfred-de-Musset, dans le quartier des Brosses, se trouve un bâtiment qui sert de cantonnement pour les travailleurs indochinois contraint de force à travailler à la TASE à partir de 1941. Ce dernier a été installé à la lisière de la Petite Cité. Ce bâtiment en forme de L contenait deux dortoirs où les travailleurs dormaient, des toilettes, des lavabos, deux entrées autonomes, un réfectoire et un dortoir individuel pour le sergent chargé de l’encadrement des indochinois.

Le cantonnement, par sa localisation, rendait presque impossible toutes les pratiques d’isolement et de ségrégation spatiale. Situé au cœur du quartier industriel, à proximité des maisons, d’une coopérative, d’une école et d’une église, il permet aux indigènes de s’intégrer à la communauté locale facilement. La présence d’un terrain vague à proximité du cantonnement a, selon les dires, amené la confrontation amicale entre indochinois et français lors de matchs de football. Selon Monsieur Thieu, ancien travailleur indochinois à la TASE, le cantonnement représentait pour eux une amélioration de leur condition de vie. Ballotés entre l’Indochine et différentes régions françaises, les indochinois n’avaient plus connu de conditions de vie décentes depuis quelques années. 

Monsieur Thieu vante la qualité du lieu en citant la présence de douches, de toilettes et de lits dignes de ce nom lui qui, lorsqu’il se trouvait dans le bateau le menant d’Indochine à la France, dormait au fond de ce dernier dans des conditions d’hygiènes déplorables. Les difficultés se perpétuent une fois arrivé en France avec le manque de conditions d’hygiène acceptable, de nourritures et les brimades et vexations qu’ils subirent par certains Français. À partir de l’installation de la compagnie à Villeurbanne, leur sort va s’améliorer pour ces hommes qui ont connu depuis le départ de leur pays d’origine une continuelle dégradation de leur condition d’existence.

L’amélioration se fait sur le plan alimentaire, vestimentaire et sanitaire. Le cantonnement était une aubaine pour ces individus qui, fatigués de devoir sans cesse se déplacer, trouvaient enfin un lieu où s’ancrer et où les conditions de vie étaient enfin à hauteur de dignité humaine. Il faut attendre 1950 pour voir le cantonnement vidé de ses occupants indochinois. Il deviendra par la suite, après le départ des indochinois, une école maternelle en 1952 ou 1953 le temps que le nouveau groupe scolaire Ambroise Croizat ouvre ses portes en 1954. 

Poste de garde, dispensaire et infirmerie (avenue Bataillon Carmagnole Liberté) | Centre névralgique de la cité industrielle, le poste de garde voyait passer, jour et nuit, tous les employés mobilisés par l’usine. Les individus chargés de la sécurité étaient, pour la plupart, des retraités de la gendarmerie ou des employés de l’usine. Le poste de garde servait à surveiller les entrées et sorties dans les bâtiments.

Des fouilles impromptues avaient lieu afin de prévenir le vol. Ce lieu était également l’endroit où l’on enregistrait les doléances des habitants du quartier comme les plaintes ou les réclamations pour une intervention à la suite d’une détérioration dans un appartement. Les surveillants, au nombre de 3 ou 4, selon les périodes, devaient également gérer des tâches administratives comme les remises de médailles du travail, les élections du personnel ou encore le travail des femmes de ménages avec la commande et la distribution des produits ménagers.

En 1925, l’infirmerie et le service social étaient situés dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « Boule en soie » en attendant la construction du dispensaire. On pouvait y trouver un service de radiologie, un dentiste et un médecin. Des sœurs originaires d’Alsace étaient présentes comme infirmières. Logées à l’étage, ces dernières étaient amenées à se déplacer la nuit à domicile pour prodiguer des soins urgents. C’est également au sein de ce dispensaire que les accidentés de travail étaient soignés, gratuitement.

Bien que le dispensaire eût pour rôle premier les soins des habitants de la TASE, il jouait également un rôle important dans la sélection des ouvriers qui briguaient un poste à l’usine. En effet, avant la signature du contrat de travail, les ouvriers devaient passer une visite médicale afin de savoir si oui ou non ils étaient aptes à travailler au sein de l’usine. Un dentiste prit également place dans le dispensaire. Les soins qu’il prodiguait aux enfants étaient gratuits, tout comme les visites générales.

On trouvait aussi un dispositif radiologique, rare pour l’époque, chargé de faire des radios pulmonaires des personnes en difficultés respiratoire. Le dispensaire pouvait également servir de maison de repos pour enfant lorsque ceux-ci avaient un état de santé préoccupant. 

Les spécificités de la "Grande" Cité ouvrière TASE

La Grande Cité fut construite à partir de 1926 pour pallier au manque de logements ouvriers. Elle fut nommée ainsi en opposition à la Petite Cité pavillonnaire voisine. 20 immeubles de quatre étages sur neuf hectares sont alors érigés, comportant en 1970, 491 logements sur quatre étages. Chaque logement dispose d’un jardin de 80 à 120 m2 avec un tonneau de récupération d’eau de pluie et un abri de jardin. Un règlement contraignant interdisant les démolitions, les élevages d’animaux, et imposait des règles d’hygiène strictes.

Suite aux mouvements grévistes de juin 1936, la direction de l’usine, apeurée, demande au Ministère de l’Intérieur la protection du site de la TASE. Le Ministère envoie le 4e escadron de la 6e légion de la Garde républicaine. Dans le même temps, le chômage explose partout. 500 ouvriers sont licenciés dont une centaine habitant la Grande Cité. 160 logements sont alors attribués aux gardes républicaines. La cohabitation entre ouvriers et représentants de la loi durera jusqu’en 1966. Après la fermeture de l’usine, huit bâtiments furent détruits

La TASE : une histoire ancrée dans celle de l'industrie du XXe siècle

Une usine de chimie lourde aux conditions dangereuses

L’usine TASE était un établissement qui fonctionnait à « feu continu », c’est-à-dire sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La production de viscose demandait un travail constant dans des conditions souvent très difficiles. L’usine de la TASE était considérée comme “à risque” en termes de sécurité pour ses travailleurs car la production de textile artificiel demandait de s’accommoder des émanations chimiques nauséabondes, de la chaleur, du bruit, de la cadence des machines et du risque d’accident.

Les émanations chimiques venaient de divers produits utilisés dans le processus de production comme, par exemple, le sulfure de carbone, le benzol ou encore l’hydrogène sulfuré. Nombreux sont les ouvriers qui eurent les poumons brûlés par ces substances et moururent prématurément. Les ouvriers étaient exposés aux risques physiques liés à la chaleur et l’humidité qui régnaient au sein de l’usine. Ils devaient également tenir une cadence de production élevée. Par exemple, la filature continue était une contrainte obsessionnelle pour les équipes : un arrêt de la production était une catastrophe car il fallait remettre les machines à zéro, nettoyer, changer le matériel et redémarrer.

Pour ne pas ralentir la production et s’attirer les foudres de la direction, les ouvriers se devaient de régler au plus vite ce genre de situation et redémarrer le plus rapidement possible les machines. La dureté du travail, sa dangerosité, le manque de prévention et la relative insouciance des ouvriers en ce qui concerne la sécurité avait pour conséquence directe un nombre élevé d’accidents du travail, très coûteux financièrement pour l’entreprise. Les accidents mortels n’étaient pas rares et les accidents entraînant une invalidité totale ou partielle très répandus.

La direction, pour endiguer ce phénomène, mit en place des actions diverses. Ainsi, les secteurs de travail étaient classés en groupe et celui ayant subi le moins d’accidents sur une année était récompensé de prix en nature. Autre action, celle d’un concours d’affiches sur la sécurité à l’usine. Le concepteur se voyant attribuer le premier prix touchait une somme de 8.000 francs.

L’usine TASE fut un témoin privilégié de cette prise de conscience de la part de la direction de la nécessité d’assurer à ses ouvriers la sécurité au travail. Gouffre financier pour cette dernière, la direction usa d’ingéniosité pour endiguer autant que possible les accidents et, de ce fait, faire de grandes économies. Mais l’usine fut également témoin de la rudesse du travail ouvrier à une époque où la sécurité n’était encore qu’un vaste projet. Nombre de travailleurs ont péri sur leur lieu de travail, sont restés handicapés à vie et ont développé des maladies liées aux vapeurs chimiques.

Les combats ouvriers dans l’histoire de la TASE

L’usine ouvre ses portes en 1924 et on relève qu’aucun syndicalisme structuré n’est présent au sein de la TASE. Il semble que la population des cités ne présentait pas les critères idéaux susceptibles de créer une forme syndicale. Il faut attendre les années 1930 et l’arrivée de jeunes Italiens et Espagnols fuyant les prémices du fascisme pour voir s’installer une force d’opposition de type anarcho-syndicaliste.

Une première grève est déclenchée en 1935, elle dura huit jours et les revendications portaient avant tout sur les salaires. La grève de 1936 débute plus tôt à la TASE que dans le reste du pays. Plus de 2 000 ouvriers se devaient de supporter un travail très physique, la chaleur, le bruit et les émanations toxiques, parfois soixante-dix heures par semaine. Une grande partie d’entre eux ne supportent plus ces conditions et décident – en avril 1936 – d’interrompre leur travail à la TASE.

Tous les moyens sont bons pour faire avancer la cause ouvrière : piquets de grève, occupation de l’usine, entrées et sorties bloquées et couchage sur les lieux. La CGT s’installe à côté des Petites Cités, plus précisément au cinéma Printania, rue Francia, et dirige la grève durant cinquante-huit jours. Le syndicat obtient le 4 juin 1936 une augmentation de salaire de 14% pour les ouvriers. La grève se poursuit et dure jusqu’au 7 juin 1936 et les accords de Matignon. Les travailleurs français obtiennent la semaine de quarante heures, une augmentation de salaire allant de 7 à 14%, des congés payés de quinze jours et la reconnaissance des délégués du personnel et des conventions collectives. Selon les témoignages des grévistes, ces avancées relevaient, à peine un mois auparavant, de l’utopie.

Les manifestations de 1968 n’ont pas la même source que celles de 1936. Il s’agit d’abord d’une révolte étudiante mondiale dans les grandes villes des pays libéraux. En France, spécifiquement, les revendications des mouvements ouvriers sont venues se superposer à celles des étudiants. Trente-deux ans après les évènements de juin 1936, de nombreuses usines sont à nouveau bloquées par des ouvriers qui réclament une augmentation des salaires et de meilleures conditions de travail.

Selon les témoignages d’anciens grévistes, les délégués syndicaux étaient réticents à l’idée de lancer une grève indéterminée à la TASE. La CGT a dans un premier temps appelé à une grève de vingt-quatre heures reconductibles mais les ouvriers voulaient frapper plus durement. Un vote à bulletin secret est organisé le 13 mai et les ouvriers se prononcent majoritairement pour l’occupation de l’usine. La municipalité de Vaulx-en-Velin, dirigé par le maire communiste René Carrier, décide d’apporter tout son soutien au mouvement gréviste. Douze jours plus tard, le 25 mai, les accords de Grenelle sont signés. Il en ressort un accroissement considérable des pouvoirs syndicaux, une augmentation de salaire de 8% à la TASE et une indemnisation des grèves à hauteur de 50%.

D’autres grèves vinrent chahuter la direction de l’entreprise, comme celle du 21 mars 1972 qui dura vingt-quatre heures contre la fermeture de l’usine de viscose d’Arques-la-Bataille ou celle de 1975 qui faisait suite à une décision du Comité d’Entreprise de stopper la production de rayonne pour cause de crise économique et de concurrence internationale trop déstabilisatrice. Cette délibération entraina trois syndicats existant sur le site (CGT, CFDT, CGC) à organiser une journée de grève avec manifestation à laquelle participa la quasi-totalité du personnel (chefs de services et encadrements compris) dans les rues de Lyon. 

Malgré ces tentatives de sauvetage, la messe est dite : la rayonne cesse d’être produite et l’usine TASE ferme ses portes en 1975. Seule subsiste l’usine de fabrication de nylon. Perçue comme l’unité de production sauveuse des emplois du secteur, elle ferma néanmoins ses portes cinq ans après la fermeture de la TASE, en 1980.   

Une main d'œuvre aux multiples origines

L’usine TASE ouvre ses portes en 1924 et cherche de la main-d’œuvre en grande quantité pour assurer sa production.

Une partie de la population du secteur décide de tenter sa chance en signant un contrat d’embauche avec l’usine mais la direction remarque rapidement le caractère volatil des ouvriers. Les conditions de travail au sein de l’usine TASE étaient en effet très pénibles et s’accompagnaient de nombreux arrêts de travail. Les ouvriers lyonnais, rebutés par les accidents de travail, les faibles salaires et le caractère géographique isolé de l’usine, restaient peu de temps dans l’entreprise. C’est pour cette raison que le groupe Gillet décida la mise en œuvre d’une politique de recrutement dans les campagnes et surtout à l’étranger. Des agents recruteurs de la maison Gillet étaient envoyés dans la Loire, l’Ardèche, l’Isère, la Drôme et les Hautes-Alpes pour recruter des familles de paysans et des jeunes filles. Ces recruteurs furent également envoyés dans les pays d’émigrations afin de sélectionner la main-d’œuvre intéressée par la perspective d’une embauche à la TASE.

L’immigration s’est faite par vagues successives au sein de l’ensemble industriel. Dans les années 1920, ce sont d’abord les Arméniens qui, fuyant le génocide, se rendirent en France dans différents sites industriels. Ce fut ensuite Italiens et Espagnols, généralement seuls, qui arrivèrent sensiblement à la même époque fuyant un régime autoritaire.

La deuxième vague d’immigration importante fut constituée de Polonais poussés hors de leurs frontières par la pauvreté et le manque de perspective de travail. Des Hongroises, dans la même période, arrivaient en masse pour travailler à l’usine TASE.

Pour se donner un ordre d’idée, en 1931, près de 80% des résidents de la cité industrielle sont nés hors de France pour 20% d’individus nés en France.

A partir de 1939, suite au départ précipité des soldats français sur le front, la France est en manque de main d’œuvre et fait appel à la force de travail de ses colonies. Vingt mille Indochinois furent alors réquisitionnés pour travailler sur le territoire et deux cents arrivèrent à la TASE en 1941. Ils furent logés dans l’ancien cantonnement à l’angle des rues de la Poudrette et Alfred de Musset (Villeurbanne).

Peu après la Seconde Guerre mondiale, l’usine fit de nouveau appel à de la main-d’œuvre étrangère. Les travailleurs viennent cette fois d’Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie) mais aussi de Yougoslavie et surtout du Portugal.

Au regard de ce bref historique, on voit que l’histoire de la ville de Vaulx-en-Velin est depuis un siècle très fortement liée à son immigration. La TASE fut le principal attracteur de main-d’œuvre étrangère à Vaulx-en-Velin et la physionomie de la population vaudaise d’aujourd’hui est directement liée au passé de l’usine TASE.

1980 – 2000 : De la déshérence à l’émergence de la question patrimoniale

De la reconversion à la liquidation

En 1955, L’usine TASE passe sous le contrôle direct du Comptoir Artificiel de la Soie et va connaître un début de reconversion avec la création de l’usine de nylon en 1958. Cet investissement est réalisé en partenariat avec Rhône-Poulenc qui détient le brevet et l’expérience de la fabrication du nylon.

Dans les années 60, l’ensemble des unités de fabrication de textile artificiel françaises passent sous le contrôle du groupe chimique Rhône-Poulenc et contribue à la rentabilité du groupe. L’usine CTA devient RPT, Rhône-Poulenc Textile en 1971 et compte encore 1360 salariés. À partir des années soixante-dix, Rhône-Poulenc ferme ses usines de textiles artificiels. 

Les deux ateliers de rayonne de RPT Vaulx-en-Velin sont mis à l’arrêt en 1975. Les cheminées sont détruites en 1979 puis en 1981. À l’arrêt de l’usine de nylon en 1980, il reste encore 650 salariés en activité.

Pour la municipalité d’union de la gauche de l’époque, la priorité est de reconstituer l’offre d’emplois. La municipalité après avoir soutenu les manifestations contre la fermeture de l’usine, intervient auprès de l’Etat et du groupe pour obtenir que le site industriel soit aménagé pour favoriser de nouvelles installations industrielles. En 1981, Rhône-Poulenc délègue à la SOFRAN, sa filiale immobilière la division de l’usine en 26 lots transférant ainsi la propriété du site. Ce lotissement devient le « centre d’activités de la Poudrette » intègre une douzaine d’entreprises dont Michelin et deux ateliers RPT Rhodiastat et Transfotex vite liquidé en 1985 soit moins de 500 emplois en 1986.

Resté discrète à l’époque, la création en 1975 de CITEX (un bureau d’étude spécialisé dans la création d’usine textile clé en main par une équipe d’ingénieurs chimistes de Rhône-Poulenc allié à l’ARCT (Ateliers Roannais de Construction Textile) va constituer le plus réussi des paris. Issu d’une entreprise de chaudronnerie, ce bureau d’étude va être absorbé par Technip en 1992.  En 1985, Roland Bernaert un ancien cadre de Rhône-Poulenc achète les grands bureaux et l’aile est et les sheds adjacents et crée la SCI la Soie spécialisée dans la location d’entrepôts et de bureaux.

Plusieurs SCI se partagent le site. En 1986, la SMUR Société de Magasins d’Usine Réunis crée le « Second Marché » dans les sheds situés entre les deux ailes de la TASE. L’ambitieux projet prévoit l’installation d’une cinquantaine d’enseignes dédiées à la mode et aux loisirs – une sorte de préfiguration du centre commercial du Carré de Soie – le Magasin fermera en 1990. 

Après le magasin d’usine, plusieurs pistes sont explorées :  une enseigne spécialisée dans l’équipements de maison, un marché aux fleurs, une halle de la brocante et des antiquaires… 

La plupart des entreprises fermèrent leurs portes transformant progressivement l’essentiel de l’usine en une immense friche.

La nationalisation de Rhône-Poulenc en 1982 semble offrir une opportunité, de fait plusieurs implantations industrielles en lien avec le réseau textile sont effectuées. Mais de même que le projet de magasin d’usine, la plupart des implantations seront sans suite.

La Ville rêve d’acheter l’usine TASE mais devra renoncer. Plusieurs SCI créées pour l’occasion par des cadres de Rhône-Poulenc achètent les lots. La Ville hérite des équipements sociaux et sportifs de l’usine : dispensaire, comité d’entreprise, bains-douches et l’ancienne école La Fontaine pour un franc symbolique.

Les 270 logements des Petites Cités sont vendus par priorité à leurs occupants et anciens de l’usine.

Les Grandes Cités TASE sont acquises en 1983 par la SOLLAR, société HLM privée filiale du Logement français avec pour objectif la réhabilitation des logements collectifs. En réalité, 8 des 20 immeubles collectifs seront ensuite démolis.

montrer la façade Technip de l'usine TASE
Façade de l'usine TASE, aujourd'hui bureau de l'entreprise TECHNIP. Xavier Spertini. 2014.
L'usine TASE en friche. Robien des Villes. 2009.

L’émergence de la question patrimoniale

Côté TASE, l’association Peuplement et migrations est créée en 1996 par l’anthropologue Daniel Pelligra avec le soutien de la municipalité. Elle projette la création d’un musée de l’immigration dénommé ESCALE 2000 dans l’usine TASE et crée l’évènement dès 1996 avec une exposition « Armoires mémoires », et un circuit de découverte de l’immigration régionale dans le cadre du réseau TRACES. Ce projet de Musée de l’immigration sera présenté lors d’un appel à projet national qui débouchera sur la création en 2007, à Paris, de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration dans l’ancien Musée des colonies.

En 1996, l’association des Anciens de Rhône-Poulenc publie « la viscose à Vaulx-en-Velin, 1924-1980 » pour rendre hommage aux viscosiers sans revendication patrimoniale.

En 1999, un collectif d’associations mobilisant notamment Mémoires, Ebulliscience et Robins des Villes se crée autour de l’ouverture au public et du classement de l’usine de Cusset. Devenu Usine sans Fin, la démarche débouche en 2001 sur une étude préalable à la création d’une ZZPAUP (Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager) commanditée par la DRAC à la Maison du Fleuve Rhône, classement auquel EDF s’opposera avec succès. Usine Sans Fin sera partie prenante de toutes les concertations lancées au début des années 2000, obtiendra la mise en lumière de l’usine et l’édition d’un guide du patrimoine en 2007 et la création du Belvédère de Cusset en 2018.

En 2003, la Direction régionale de l’Action Culturelle désigne l’usine TASE et les Petites cités « Patrimoine du XXe siècle » à l’initiative de Patrimoine Rhônalpin.